Affaires Classées

 

A Rennes, sur les bords du Canal Saint-Martin, Jean-Gabriel Périot convoque le quidam à fouiller dans ses affaires classées. Voyage au centre de l’intimité, cette exposition est un coup de pied salvateur dans la paperasse ordinaire.

« La volonté qui guide ce projet d’exposition est d’offrir au spectateur différents visions de moi, Jean-Gabriel Périot. Au premier abord, cela peut paraître prétentieux, égocentrique… Pourtant, en tant que moi, je suis le reflet d’une complexe construction sociale et le résultat d’un vaste réseau d’enjeux. M’exhiber, c’est, paradoxalement, renier les concepts de liberté, d’unicité, c’est me replacer dans un système socioculturel et politique. De plus, en niant le concept d’individualisme, parler de moi revient à parler des autres ; me montrer, leur tendre un miroir (plus ou moins déformé.) »

Quatre box, quatre bureaux isolés les uns des autres préservent l’intimité du visiteur en communion avec les archives personnelles de Jean-Gabriel Périot. Une froideur clinique, administrative, règne sur ces classeurs gris, ces pochettes transparentes ou ces téléviseurs noirs qui renferment témoignages d’amis, factures, demandes d’emploi, photos de famille…

Une vie entière, dévoilée au gré de l’investigation de chacun des visiteurs, mille vies reconstituée au gré des histoire personnelles qui dictent les choix de recherche. L’essentiel pourtant est-il visible, lisible ? Que connaît le voyeur, l’ami, l’étranger de cet artiste après ce moment partagé ensemble ? Rien de plus que la projection de lui-même dans le reflet plastic des pochettes qui protègent les documents.

Se mettre à nu pour révéler le monde, briser le tabou de la chair à vif pour que les étoffes quotidiennes deviennent plus légères, Affaires Classées, c’est sûrement cela.

L’émotion, la première, toujours oriente la réflexion, et pourtant, si la dimension politique d’un tel étalage n’est pas prioritairement apparente, elle est là tapie, plus froide et cynique que les écrans vidéos. L’être, objet, jouet social, se révèle au-delà des anecdotes familiales ou sexuelles. L’être, machine à outils, les rouages bien huilés, déculpabilisé, embrigadé, se dresse fièrement pour s’effondrer mollement entre les interstices des planches de son bureau sous les assauts de sable projeté par Jean-Gabriel Périot.

 

Par Hervé Pons
Urban Pass 2003